La déshérence commerciale est à la fois cause, conséquence et un marqueur de la dévitalisation d’un quartier, particulièrement en centre-ville. Elle s’inscrit dans un cercle vicieux où l’appauvrissement de l’offre commerciale locale induit des conséquences en termes de qualité de vie avec des départs d’habitants, une paupérisation, souvent des dégradations de l’espace public et en conséquence davantage de disparitions de commerces…
L’attractivité d’un quartier est un équilibre complexe entre les différentes fonctions : logements, activités tertiaires, activités commerciales, services -dont services de santé- et loisirs et espace public.
Lorsque cet équilibre est inexistant ou rompu, le seul recours à l’initiative privée ne permet pas d’apporter de solutions pérennes, les opérateurs privés ayant des logiques de rentabilité à court terme, à 5 ans maximum, incompatibles avec une action inscrite dans la durée.
En outre, les intervenants privés, dans une logique court-termiste, peinent souvent à prendre en compte les nouvelles aspirations des habitants et usagers, notamment en termes de transition écologique, et promeuvent des solutions parfois datées et déconnectées des nouveaux besoins.
C’est la raison pour laquelle un engagement porté par les collectivités locales et s’inscrivant dans le temps long, avec une vision à 10 années minimum, apparaît désormais comme une solution pertinente pour la redynamisation des quartiers et un développement harmonieux où les différents usages cohabiteront en complémentarité, habitation, activités tertiaires, économiques, de service et culturelles au sein d’un espace public pensé pour favoriser cette mixité d’usage.
Dans ce modèle récent, initié notamment à Paris au milieu des années 2000 avec la première opération Vital’Quartier et qui a trouvé aujourd’hui un large consensus, un ou des opérateurs missionnés par la collectivité vont sélectionner puis maîtriser des actifs immobiliers, procéder à leur rénovation s’il s’agit de biens anciens, les commercialiser après avoir défini la nature d’activité souhaitable au renouveau du secteur, et, s’il s’agit de commerce, sélectionner très finement le porteur de projet sur des critères non seulement de pertinence et financiers mais également et surtout de motivation et d’engagement local puis accompagner le nouveau commerçant tout au long de la vie du commerce afin d’assurer la pérennité de l’activité, pour enfin, à la revente des murs, tenter de pérenniser la nature de l’activité par des clauses de sauvegarde ou mieux grâce à une évolution locale des règles d’urbanisme commercial (PLU renforcé).
Il ne s’agit évidemment pas de viser à maîtriser l’ensemble des biens immobiliers du secteur concerné, mais de doser finement les interventions, choisir méticuleusement les actifs à acquérir le cas échéant pour atteindre le meilleur rapport efficacité/coût d’intervention et amorcer une redynamisation dont le succès amènera un effet de levier grâce à l’action dans un second temps de l’initiative privée.
A titre d’exemple, s’agissant de revitalisation commerciale, un étude menée à Paris par l’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) et analysant sur 10 ans les résultats des deux Concessions Publiques d’Aménagement Vital’Quartier mises en œuvre par la SEMAEST à partir de 2004 ont montré qu’un taux de maîtrise publique de 5% à 10% du nombre des cellules commerciales d’un quartier suffisait à opérer une mutation profonde, avec une augmentation du niveau socio-économique de la population, une diminution forte de la vacance commerciale, de la mono-activité le cas échéant, et une augmentation forte de la qualité de vie, la sécurité et du lien inter-générationnel.
Ces interventions publiques ont jusque dans les années 2015, concerné l’économie de proximité et ont été généralement portées soit directement par les collectivités territoriales en utilisant particulièrement le Droit de Préemption Urbain, soit déléguées à des opérateurs publics de type SEM ou à des opérateurs consulaires (CCI), au travers de Concessions Publiques d’Aménagement puis de Contrat de Revitalisation Artisanale et Commerciale, généralement pour des durées de 10 à 12 années.
Les autres fonctions contribuant à la dynamique d’un quartier, habitat, services, tertiaire, aménagement de l’espace public restaient généralement de la compétence d’autres opérateurs publics ou privés, avec parfois des manques de vision d’ensemble ou de coordination préjudiciables à la dynamique globale de revitalisation.
Une étape nouvelle a été franchie avec la diffusion du concept de foncière de revitalisation, notamment grâce à la loi ELAN. Précédemment, des expérimentations de foncières telle la Foncière Paris Commerce créée à Paris en partenariat avec la Caisse des Dépôts et ARKEA avaient permis de prolonger l’action des concessions publiques d’aménagement et acquérant certains actifs pour éviter la revente au privé et la spéculation foncière dans des secteurs tendus, ces actifs devant cependant répondre à des critères établis de rentabilité et représenter des activités commerciales stabilisées et sans risques avérés.
Désormais, les nouvelles foncières de redynamisation s’inscrivent dans un objectif beaucoup plus global au service du développement du territoire concerné, pouvant adresser l’ensemble des fonctions, économie, services, habitat, tertiaire, loisirs, santé, espace public mais surtout inscrire leur activité en amont de la chaîne de redynamisation, en acquérant des locaux vides, neufs ou à rénover afin d’y développer une activité utile au quartier.
Cependant, la pertinence de l’action de ces nouveaux outils et leur efficacité passe par une véritable synergie avec l’ensemble des acteurs publics, économie mixte, chambres consulaires, privés et associatifs œuvrant sur le périmètre d’intervention avec le soutien des institutions financières nationales et locales, notamment la Banque des Territoires.
Cette synergie doit amener à partager la même vision d’ensemble des objectifs à atteindre, à mettre en commun des moyens, à partager du foncier, des actifs et à mettre en place une coordination permanente et des indicateurs mutualisés d’évaluation d’efficacité.
La foncière est donc une réponse mais reste un outil – complémentaire des autres outils locaux- qui devra être adapté au contexte local et régional, aux objectifs de la collectivité locale, aux possibilités financières et qui devra être un nouvel acteur fédérateur de l’écosystème local d’action au service du territoire.
Pour être efficace, cet acteur devra disposer de ressources humaines, internes ou externalisées, aux compétences très diverses, analyse des enjeux économiques, connaissance du foncier, équilibre économique des opérations projetées, construction et rénovation, commercialisation, gestion locative, contentieux, animation, formation, être agile et adaptable et développer une culture commune et un esprit de mission au service du territoire et de ses habitants.
Enfin, la réussite des missions de la foncière passe par le soutien des acteurs politiques locaux garant de sa crédibilité et de sa capacité d’action.
La crise sanitaire a un double impact sur l’économie de proximité, le premier négatif, les fermetures dues aux confinements et couvre-feux rendant très vulnérables ces activités vitales mais à faible marge, le second positif avec la redécouverte de la proximité, des circuits courts, des producteurs locaux.
Dans ce contexte, la mise en œuvre de foncières commerce est une nécessité urgente et vitale pour l’économie de proximité, donc la qualité de vie dans nos villes, quartiers et villages.